LA PHYSIQUE D’ELODIE HERENS PERCE LES SECRETS DE MAGRITTE

Têtes chercheuses

Elodie Herens [(Rhéto 2008), jeune fouronnaise,] est doctorante en physique à l’Université de Liège (ULiège). Elle travaille dans l’imagerie hyperspectrale en archéométrie, dans l’unité de recherches interfacultaire AAP (Art, Archéologie et Patrimoine) et le Centre Européen d’Archéométrie. C’est précisément ce mélange des genres qui lui a plu dès le départ.

« Tous les jours, j’apprends des choses dans des domaines qui m’étaient inconnus » explique-t-elle. « Au moment de choisir mes études, je voulais faire de la physique mais surtout de la physique appliquée. Mon mémoire portait sur de la physique appliquée à la biologie, ce que je trouvais intéressant car je ne connaissais pas le sujet. Et puis j’ai rencontré David Strivay, j’ai découvert son travail sur les oeuvres d’art. Et j’ai trouvé cela passionnant! »

On retrouve actuellement cette équipe de chercheurs au musée Magritte, deux semaines par mois en moyenne. « On y a analysé une quarantaine d’oeuvres de peintures à l’huile dans le but de récolter des informations sur leur composition : quels pigments ont été utilisés, l’état de conservation… Après quarante peintures, on est passé aux gouaches. »

Laser et rayons X

« Dans ce cadre, notre rôle à nous physiciens au centre européen d’archéométrie n’est bien sûr pas de restaurer mais d’analyser les données récoltées et de fournir les informations utiles. »

La physicienne et ses collègues utilisent différentes techniques. La photographie en haute résolution, la lumière UV afin de repérer d’éventuelles retouches sur le tableau, la microscopie, qui permet de voir dans quel ordre l’artiste a travaillé ; s’il a d’abord peint le rouge, le bleu… Tout cela permet de reconstruire les étapes de l’œuvre.

Il existe en outre des techniques physiques et c’est là qu’intervient Elodie Herens. La spectroscopie raman qui consiste à éclairer un échantillon avec une lumière monochromatique, par exemple un laser rouge, émise à une longueur d’onde déterminée. L’échantillon est fait de petits atomes soit des noyaux entourés d’un nuage d’électrons. Quand l’atome est éclairé par le laser, les petits électrons vont gagner de l’énergie puis en reperdre. C’est à ce moment précis qu’ils réémettent un rayonnement détectable.

« La différence de couleur, de longueur d’onde, entre le rayonnement qui est venu exciter et le rayonnement qui est dégagé, poursuit la doctorante, nous permet d’avoir l’information sur la molécule qui a été excitée, et donc sur le pigment qui a été utilisé. Le matériel pour le raman est très compact, cela tient dans une petite valise, c’est donc très pratique quand on doit se déplacer dans les musées. »

Une autre technique à disposition est le XRF, fluorescence de rayons X. C’est plus ou moins le même principe : des ondes électromagnétiques sont projetées sur le matériau afin de voir ce qu’il réfléchit.

« Chaque atome contient des électrons porteurs d’une certaine énergie. Suite au bombardement des rayons X, un petit électron à l’énergie assez basse va être éjecté, cela formera un trou. La nature n’aime ni le vide ni le surcroît d’énergie qui rend l’atome instable. Un électron à l’énergie plus grande vient combler le trou. Afin de stabiliser l’atome, cet électron perd de l’énergie en émettant un rayonnement. Et c’est ce rayonnement qui est analysé. Cette technique nous donne des informations sur les éléments chimiques présents. Par exemple, si l’on trouve du mercure et du soufre dans une région rouge, on peut en déduire que l’on est en présence de vermillon. »

Une autre manière de penser

« A la base, je ne venais pas pour faire un doctorat, je voulais juste faire de la physique, parce que cela me plaisait et que j’étais curieuse. J’étais ouverte aux opportunités qui allaient se présenter. Pendant nos études, on est amené à réaliser de petits travaux, comme le mémoire ou des petits projets de recherche. J’ai vraiment aimé cet aspect des études ; devoir réfléchir et faire preuve de créativité dans la manière de penser, se demander pourquoi tel phénomène survient et pas tel autre… Peut-être que j’aurais aimé aussi travailler en entreprise, je ne peux pas vous le dire, je ne connais pas. En tous cas, j’aime beaucoup ce que je fais ici. »

En tant qu’assistante à l’université, Elodie Herens consacre une partie de son temps à l’enseignement et une autre à sa recherche sur l’imagerie hyperspectrale en archéométrie. Elle donne des travaux pratiques et des exercices en physique de base et physique nucléaire, mécanique et optique à des étudiants orientés dans la filière scientifique ; de futurs physiciens mais aussi des vétérinaires, pharmaciens, kinés, etc. « Je dois donner 150 heures de cours par an, sans compter les préparations, les corrections, les éventuelles sessions d’examens. »

Genèse d’une oeuvre

Le cœur de sa thèse est le traitement des données et cela s’avère complexe.

« On prend le spectre d’une zone de pixels, on analyse le spectre moyen sur tous les pixels et on essaie d’identifier le spectre à notre palette de couleurs de référence qu’on a sur des petites lames. Ensuite, on essaie de recombiner les spectres ensemble, pour identifier les couleurs, repérer si des couches de peinture sont superposées, etc. Dans certains tableaux, les pigments sont mélangés. Les spectres des différents pigments se combinent, et c’est là que cela se complique. Retrouver les pigments de base, leur concentration, leur liant… C’est mon boulot. »

L’équipe de chercheurs travaille ponctuellement dans certains musées pour analyser une œuvre précise mais aussi avec des privés. Ils sont attendus à Ostie, l’ancien port de Rome, où ont été découvertes des peintures murales du premier siècle av. J.-C.

« On emmène l’hyperspectrale afin d’aider les archéologues à comprendre comment les pièces ont été formées, quelle en était la décoration, et à déterminer si toutes les pièces ont été peintes par le même artiste. On analyse la composition, les coups de pinceau, etc. »

La suite, Elodie Herens l’envisage sereinement. « Je vais d’abord poursuivre mon travail actuel, je suis loin d’avoir terminé. Mais on n’a jamais terminé. La recherche ne se termine jamais, plus on a de temps, mieux c’est. Je défendrai ma thèse dans deux ans. Après? Je ne sais pas du tout. Mon compagnon est chercheur aussi, si on peut trouver deux places au même endroit, ce serait pas mal. La question est un post-doctorat à l’étranger ? Travailler en entreprise ? Beaucoup de portes s’ouvrent. On verra ! »

Article publié le 9 août 2018 par Véronique Pipers dans Dailyscience.be.